Il en faut du temps pour aimer ce bouquin. En effet, il se fait désirer par une étrange approche. D’ailleurs, Verre Cassé lui-même le dit: “Je voudrais surtout qu’en me lisant on dise c’est quoi ce bazar, ce souk, ce cafouillis, ce conglomérat de barbarisme, cet empire de signes, ce bavardage, cette chute vers les bas-fonds des belles lettres, c’est quoi ces caquètements de basse cour, est-ce que c’est du sérieux ce truc, ça commence d’ailleurs par où, ça finit par où”
En vrai, je me suis posé cette question quand après la lecture de la 1ère page, j’ai réalisé que mon cerveau buggait…. Une page plus tard, j’ai réalisé que mon cerveau avait de la peine à digérer ce qu’il était en train de lire. J’ai failli jeter l’éponge au début. Je vous promets, c’est sous les encouragements des copines (qui l’avaient déjà lu) que j’ai fini par me laisser aller.
Et pour dire la vérité, j’ai eu bien raison de me laisser aller. Quand on a saisi le contexte et quand on réussit à se projeter dans l’“intrigue”, TOUT devient limpide. Le manque de ponctuation n’est plus un obstacle à la compréhension et l’on voit aisément les protagonistes se parler.
J’ai adoré lire ce livre. J’ai ri tout le long et permettez-moi de vous dire pourquoi, VOUS DEVEZ LE LIRE.
Il décrit à merveille la vie dans certains quartiers et dans les bars: L’Escargot entêté patron du Crédit a voyagé, un bar que Verre Cassé, ancien instituteur à la dérive fréquente très régulièrement, demande à ce dernier de graver sur du papier la vie du bar. Voilà pour la trame. Je n’ai pas précisé que le bar est un bar congolais car cette scène aurait bien pu se passer au Cameroun. En effet, pour qui connaît l’ambiance des bars, les scènes auraient pu se passer n’importe où dans le Bassin du Congo. Et le flot des paroles sans cesse continue sans ponctuation prend tout son sens. C’est comme ça dans les bars, on parle sans cesse, sous l’effet de l’alcool, on parle fort, on crie, on s’exprime de la façon la plus crue qui soit. Pas besoin de filtre, l’alcool fluidifie tout.
Non, je ne suis pas adepte des bars. Mais là d’où je viens, il y a des bars à tous les coins de rue. Même ce qui est est appelé communément boutique (petite supérette de proximité) a souvent une terrasse qui sert de l’alcool à consommer sur place. Alors quand vos parents vous envoient acheter de la boisson, prétendre que l’on a pas été ébahi par une scène cocasse serait pur mensonge. Dans les bars il y a toujours de l’action et avec elle, des événements et situations inimaginables, des drames.
Les bars:
il vous faudrait juste 1 semaine pour décrire cet univers si particulier avec ses codes, ses frasques, ses réguliers et les patrons toujours à l’affût des comportements qui pourraient nuire à la “réputation du bar” ou aux petits soins des fidèles clients…
Il est un hommage à ses pairs et il fait mention de certains “grands magazines”:
J’ai adoré les allusions assumées à certains auteurs africains ou à leurs oeuvres. Il a ainsi évoqué la joie de mener une vie de boy ou une vie de vieux Nègre et la médaille. (Me rappelant au passage que je dois lire les classiques africains; non je n’ai jamais lu Le vieux Nègre et la médaille: #Shameonme.)
Et de comment tout est agencé, on ne peut que se tordre de rire tellement l’ensemble est Cohérent.
C’est un pied de nez à certains travers de nos sociétés africaines:
“le président camerounais Paul Biya a dit » Le Cameroun, c’est le Cameroun », et le chef des nègres a dit « non, c’est pas bon, tout le monde sait que le Cameroun restera toujours le Cameroun, et il ne viendrait à l’idée d’aucun pays du monde de lui voler ses réalités et ses lions, qui sont de toute façon indomptables, allez, on passe », l’ancien président congolais Yombi Opangault a dit » Vivre durement aujourd’hui pour mieux vivre demain », et le chef des nègres a dit » non, c’est pas bon, faut jamais prendre les gens de ce pays pour des naïfs, et pourquoi ne pas mieux vivre dès aujourd’hui et se moquer du futur, hein, d’ailleurs ce type qui a dit ça a vécu dans l’opulence la plus choquante de notre histoire, allez, on passe », Karl Marx a dit » La religion, c’est l’opium du peuple », et le chef des nègres a dit » non, c’est pas bon du tout, nous passons notre temps à persuader le peuple que c’est Dieu qui a voulu de notre président-général des armées, et on va encore dire des conneries sur la religion, est ce que vous ignorez que toutes les églises de ce pays sont subventionnées par le président lui-même, hein, allez, on passe », le président François Mitterrand a dit « Il faut laisser le temps au temps »,et le chef des nègres s’est énervé, il n’aime pas entendre parler de ce type, et il a dit « non, c’est pas bon, ce président a pris tout le temps pour lui même, et il a presque laminé et ses adversaires et ses amis avant de tirer sa révérence et aller s’installer à la droite de Dieu, allez, on passe”. Tout ceci parce que le président Adrien Lokouta Eleki Mingi était jaloux de ce que le ministre ait fait mouche avec une formule resté dans les annales “j’accuse”. Le président a instruit ses collaborateurs de lui trouver une formule qui surplomberait celle du ministre.
Voilà pour ce que j’ai apprécié de ce livre et plus encore mais je vous invite à l’acheter. Cette lecture a été en tout point une belle découverte et j’ai même commencé à ma petite collection des livres d’Alain Mabanckou.
A très bientôt