J’ai lu Moi Tituba Sorcière de Maryse Condé

Ça y est! Je reprends ma plume ou plutôt le chemin du clavier pour vous parler d’un des derniers livres que j’ai lu . 

Je ne sais pas pour vous, mais plus j’avance dans mes lectures, plus j’ai le sentiment que les lectures sont comme un fil d’ariane. Ce fil invisible me conduit dans des lectures qui abordent d’une façon ou d’une autre les mêmes thématiques : tout a commencé avec Sorcières de Mona Chollet, un livre que j’ai adoré recommander. Ensuite, il y a eu les putains du diable de Armelle Le Bras-Chopard… dont j’avais parlé sur mon compte IG…. Ces livres, en plus d’aborder le sujet de la condition des femmes, notamment de celle des femmes noires, ont ceci de commun qu’ils parlent de procès de sorcières. Ces moments sombres de l’Histoire où des femmes ont vraiment été brûlées, pendues sous des prétextes fallacieux.

Oui, il était évident que Moi, Tituba sorcière, croise ma route. Car il y est également question de sorcières et on y relate les fameux procès des Sorcières de Salem qui ont eu lieu aux Etats Unis au 17ème siècle.

Je sais, je sais. Point de suspens, vous savez comment je choisis mes lectures et il y avait fort à parier que je l’achèterais. Sorcière par ci, Sorcière par là, Putain du diable, oui, plus le titre est décalé, plus il m’attire,  les titres font vibrer mon âme!

Parlons-en, de la sorcière!

Une sorcière c’est une femme dépositaire d’un savoir contesté par les hommes qui se réservent la chasse gardée de la médecine. Une sorcière c’est une femme souvent âgée qui vit seule et au banc de la socièté, soit par choix, soit par la force des choses (veuve, divorcée, etc), Une sorcière c’est celle qui défie la religion en réalisant des miracles dont sont seuls capables les hommes de Dieu qui ont reçu du Très-Haut le don de guérison. Sont coupables de sorcellerie ces femmes qui se soustraient au paraclet du phallus.

Tituba, fille d’Abena, est une sorcière malgré elle. Après la mort de sa mère (j’y reviendrai), elle se retrouve sous l’aile protectrice et bienveillante de Man Yaya, une vieille femme qui a vu mourir “son compagnon et ses deux enfants accusés d’avoir fomenté une révolte”. Man yaya qui semblait zinzin, maîtrise la science interdite aux femmes…Elle connaît les plantes et leurs bienfaits. Elle sait et arrive à écouter le vent. Elle parle aux invisibles.  Elle voit l’avenir. Man Yaya, son savoir, elle l’a transmis à Tituba qui s’en sert habilement. A ce sujet, je me suis d’ailleurs demandé pourquoi elle prodiguait des soins (efficaces soit dit en passant) à tout-va à des personnes (et surtout à des blancs) qui ne la voyaient pas d’un bon œil. La rumeur, tel le vent a commencé à souffler, se répandant telle une traînée de poudre. Tout a débuté avec la petite Abigail qu’elle avait soulagée… Seulement, une machination se trame contre toute attente et Tituba en est la cible. Abigail ne semble toujours pas aller mieux, sa cousine, les copines, les voisines développent des symptômes étranges que le médecin de famille ne relie à aucune maladie (comme par hasard). Il s’agit donc de sorcellerie (comme par hasard) ! Et  puis comme une épidémie, le mal se répand dans la région et les alentours… Tituba est noire est c’est une sorcière!!! Sinon comment expliquer ces maladies inexpliquées autour d’elle? Son sort était scellé! Et avec lui celui deux dames blanches que sont Sarah Good qui est une mendiante, rejeton d’une mère française qui s’est suicidée à son adolescence et Sarah Osborne, une femme agée grabataire dont la communauté cherche à se débarrasser à qui on prêtait aussi des pouvoirs MALÉFIQUES. Oui les femmes seules qui ne vivent pas sous la tutelle d’un homme sont vite cataloguées, fussent-elles blanches. 

Tituba est jetée en prison en attendant son exécution et les deux autres aussi. Seulement, malgré leur arrestation, beaucoup d’autres les suivirent en prison….Comme quoi…

Du sort de la femme… 

Quand elle est noire

Le livre commence par une scène forte et grave;  la mère de Tituba une femme noire, Abena est violée sur le pont du Christ King, un bateau négrier qui se rend à la Barbade. Esclave de son état. Son corps ne lui appartient pas. Il est à la merci de tout homme blanc et son maître. C’est de cet acte de haine et de mépris que Tituba est née. Abena, sa  « mère, pleura qu’elle ne soit pas un garçon. Il lui semblait que le sort des femmes était encore plus douloureux que celui des hommes.» Que risque un homme esclave? Le fouet, le cachot, la mort? J’ai envie de dire que c’est peu de chose. La condition de femme en bien des points rend vulnérable et fragilise. Le fouet, le cachot, la mort? Qu’est ce donc quand on vous souille, quand on vous traite comme un chose, moins qu’un animal? Qu’est-ce donc quand on viole votre intimité? La mort c’est peu de chose. C’est sûrement pour cela qu’Abena avait décidé de défier Darnell, qui s’apprêtait à la violer. Abena a fait l’impensable: une femme noire qui s’en prend à un homme blanc pour éviter le viol, le second de sa vie; celui là Tituba en aurait été témoin. Abena avait frappé un blanc avec un coutelas. Le crime ultime. «On pendit sa mère.»

A côté de cela, Tituba doit son malheur à la couleur de sa peau. Et elle cumula malgré elle les faux pas. Vous me direz qu’elle n’est pas la seule noire/ esclave de la région. En effet, non seulement elle maîtrise  la science des plantes mais elle a aussi une apparence particulière. A certains moments dans le livre, Maryse Condé lui prête une allure négligée et une compagnie animalière de deux ou trois chats….

Etre une femme simplement

Et que penser de Hester, cette co-détenue, accusée d’adultère…dont le “forfait” a été rendu incontestable par une grossesse? Quid de son amant? Il a été “effacé” du tableau. Cela me rappelle l’Evangile du dimanche dernier (3 avril 2022) qui traitait de la femme adultère. On a tous en mémoire ce texte de la Bible qui brille par son sexisme. Mais où est donc passé le complice de cette infamie, de ce crime puni de la lapidation? Ou est-il ? Comme dans la Bible, dans cet ouvrage, nulle part mention n’est faite de lui (si ce n’est dans les confidences de Hester à Tituba), il n’est pas présent dans le tribunal des hommes et personne ne s’émeut de son absence. Et c’est bien souvent le cas dans nos vies. La femme est clouée au piloris de la morale quand l’homme lui a fait preuve de virilité. Morale à géométrie variable et c’est toujours la femme la légère… Mais elle échappera à la lapidation… pour un supplice encore plus accablant et humiliant  la lettre ÉCARLATE sur la poitrine. C’est un A (pour ADULTERE) majuscule de couleur rouge brodé ou peint sur une toile que la femme doit avoir tout le temps sur sa poitrine. Non ! La grossesse qui clame haut et fort son infidélité ne suffit pas. Elle doit en plus arborer un pléonasme qui marquera encore plus son tort. Son malheur a quelques points de similitudes avec un film que j’ai vu des années de cela: Les Amants du nouveau monde avec Demi Moore et Gary Oldman. Un superbe film qui relate la marginalisation d’une femme. Elle aussi a eu l’outrecuidance de tromper son mari, il s’en est allé en voyage pendant longtemps, elle aussi s’est retrouvée enceinte de son amant… et elle aussi a porté la lettre écarlate; qui informerait celui qui par hasard n’aurait pas eu vent du dernier commérage du village, qu’elle a commis l’impensable… Si vous ne l’avez pas vu, je vous le recommande chaudement. Hester se suicidera au grand dam de Tituba qui avait trouvé en elle une amie, une compagne d’infortune…

“A qui appartient le corps des femmes ?”

Cette section est en fait une sous section dans une de mes lectures du moment : “ Le contrôle du corps des femmes dans les empires coloniaux: Empires, genre et biopolitiques” (J’y reviendrai quand je finirai la lecture).

Ici il est question de soulever l’épineuse question du corps de la femme. De sa propriété. Pour les femmes noires, dont le corps fait l’objet de fantasmes et de spéculation, le corps de la femme est un dû. On le prend, on s’en sert et on en fait ce qu’on veut. C’était le cas des esclaves et des femmes racisées dont le corps était chair sans âme, sans conscience… Un corps, un morceau de chair. Seulement, plus on y pense, plus on constatera que cette réalité n’est pas exclusivement vraie pour les esclaves. Le viol, la chosification du corps de la femme dépasse la couleur de peau. On prétextait l’habillement, la posture, la gestuelle, le regard aguicheur…Les hommes s’arrogent le droit de se servir que l’on soit consentante ou pas…

La femme est tellement déposédée de son propre être que durant “la période romaine archaique, la loi donnait au mari le droit de tuer son épouse adultère, celle qui avait usé de son corps comme s’il lui appartenait”. Le corps de la femme que l’on bafoue, que l’on asperge d’acide, que l’on mutile…. Une appropriation du corps de l’autre comme pour lui dénier son individualité, sa singularité. 

Ce corps sujet à convoitise et qui nous condamne sans appel, parce qu’on est femme. Que l’on méprise mais dont on profite. Maîtresse Pariss lors d’une conversation avec Tituba :

-Que dit votre rigide mari devant la transformation de votre corps?

-Ma pauvre Tituba, comment veux-tu qu’il s’en aperçoive?

Plus loin maîtresse Parris dit :« Si tu savais, il me prend sans ôter ni mes vêtements ni les siens pressé d’en finir avec cet odieux acte.»

Etre femme et devoir “assumer ce corps.”

Il y a tant de choses à dire sur ce formidable ouvrage que je vous recommande. J’ai fait le choix partisan de ne parler que de ce qui m’a marquée. La condition de la femme qu’elle soit noire ou blanche y est ravageante. C’est vrai qu’il s’agit de l’histoire d’une esclave qui a vraiment existé dont l’Histoire a tu le nom que Maryse Condé a voulu réhabiliter. Mais c’est la triste histoire de la vie des femmes qui à travers les âges n’a pas changé.

Tituba, ne penses-tu pas que c’est une malédiction d’être une femme ? Demandera maîtresse Pariss à Tituba. Combien de fois avons-nous pensé à la même chose? 

Votre expérience sera sûrement différente mais quoi qu’il en soit, lisez le si vous le pouvez.

Posted by Leyopar

  1. Bien… après ce résumé dont le contenu provoque une certaine colère en moi, je vais donc lire le livre au plus vite!

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